JE VOUS OFFRE MA NOUVELLE “COLLECTION” à lire ici :
Collection.
Luc Verline
2021
Prologue :
— Cancer, cancer ! Bordel, il est en moi ! Alors, pas la peine de me le rappeler à longueur de phrases !
— Dis-moi quand même… si tu sais… combien de…
— … de temps, combien de temps ? C’est ça que tu veux savoir ? Hé bien, juste le temps qu’il faut pour en crever !… Mais t’inquiète, d’après mon toubib je ne serai pas MA seule victime !
— Euh… ce n’est pourtant pas contagieux…
— Oh, d’une certaine façon, si !
— Tu comptes faire quoi du temps qu’il te reste ?
— Tout ce qui est interdit ! Parait que j’ai tué toute ma vie mais sans jamais voir mes victimes. Ce serait dommage de passer à côté de ce kiff…
— Tu es… sérieux…
— Wahahahaha… Tu verrais ta tête !
— T’es con, tu m’as fait p…
Sac en plastique… je peux rayer cet objet de ma liste, pense le porteur du crabe. Maniaque, il replie la pochette, avant de la remettre à sa place exacte, sur son présentoir d’échantillons. Puis il s’assoit, songeur, sur son fauteuil en cuir véritable. Il se détend en provoquant des couinements de la peau de l’animal sacrifié au bien être de son fessier. Enfin, il se cale et reste immobile un moment, à savourer cette quiétude de silence qui lui permet de réfléchir à son projet, son dernier projet.
Chapitre 1 :
Grands travaux.
— Combien de temps pour réaliser tout ça ?
— Disons… au minimum… deux mois.
— Disons deux semaines !
— Mais c’est…
— Attention au mot que vous allez ajouter maintenant. Vos honoraires, j’y ajoute un zéro…
— Ah, dans ce cas, deux semaines, c’est bien !
— Bon, vous avez dix jours alors.
— Mais… oui, bien sûr, aucun problème.
— C’est mieux… Une dernière chose. Commencez par l’installation de la réserve. Dans quarante-huit heures grand maximum, je dois pouvoir me servir de la chambre froide.
— Nous allons devoir travailler jours et nuits, engager plus de personnel, mais ce sera fait.
Philléas Mustier, satisfait des promesses de l’entrepreneur, s’isole et consulte ses nombreux contacts sur son e-phone. Il a une sélection à pratiquer. Il tient à ce que son dernier acte soit spectaculaire et fasse la une de tous les journaux télévisés, papiers, et bien sûr, soit relayé sur le net. Le buzz est assuré au regard de ce qu’il élabore dans les limbes de son brillant esprit.
Depuis sa toute première affaire, à seize ans, il sait l’importance de la communication. Parti de rien, n’ayant même pas le bac en poche, Philléas a su bâtir un empire à grands coups d’éclat. Ce qu’il n’avait jamais envisagé va pourtant se réaliser sous peu. Un cancer incurable et foudroyant va lui rappeler que, finalement, il n’est pas grand-chose. Mais, il ne partira pas avant d’avoir surpris le monde entier, une dernière fois. La mort devra attendre quelques semaines !
Arrive l’heure de son rendez-vous avec le spécialiste qui le tanne depuis les prémices de sa maladie pour tester un nouveau protocole de soins. L’homme d’affaire n’a que deux petites questions à poser, cependant, il ne se fait aucune illusion sur les réponses à venir du Docteur M Diliop.
Une heure plus tard, il sert la main du jeune et prometteur médecin, plein d’espoir concernant l’efficacité de son nouveau traitement « révolutionnaire », comme il aime à le rappeler toutes les deux phrases.
— Combien de temps me reste-t-il à vivre sans traitement ?
— Un mois… peut-être moins. Les métastases se multiplient et il sera bientôt trop tard. Acceptez d’être le premier à bénéficier de cette thérapie dans laquelle j’ose mettre tous mes espoirs.
— Vous voulez que je vous serve de cobaye, qui plus est, un cobaye célèbre…
— Il est certain que votre notoriété, en cas de succès, serait un atout pour mettre en avant cette révolution en mouvement et permettre au plus grand nombre de profiter de…
— Combien de chances ?
— Ah, euh… je ne puis m’aventurer à… Comprenez, ça reste, malgré tout, expérimental et…
— Combien ?
— Disons que l’on peut espérer un sursis de… six mois… au minimum et si tout va bien…
— Et les effets secondaires ?
— C’est un traitement radical, alors, oui, il y aura des effets secondaires notables mais…
— Alors, non merci. Je préfère un mois en gardant toute ma tête que six à vomir tripes et boyaux. Jamais je n’accepterai de rester au fond de mon lit à agoniser.
— Mais…
— Un mois me suffira pour ce qu’il me reste à faire. Merci docteur et au revoir… ou plutôt… adieu.
Ne laissant pas le temps au médecin de se lever de son fauteuil, Philléas s’engage déjà dans le couloir sans âme de la clinique. Au fond de lui, il n’éprouve aucun regret. Il se jure qu’il parviendra à ses fins avant que les douleurs, puis la mort, ne l’en empêchent.
Stan, son fidèle associé, lui a permis d’entamer son œuvre. Il lui faut trouver six autres contributeurs. Pas de temps à perdre.
Malgré tout, il considère avoir la responsabilité de l’avenir de ses quelques dix mille salariés à travers le monde. Donc, il se doit, en parallèle de son dernier coup de com, d’assurer l’avenir de ces hommes et femmes. Il convoque sans tarder les nombreux actionnaires afin de leur faire part de la nouvelle orientation dans laquelle devra s’engager l’entreprise.
Philléas Mustier a bâti, en trente ans, un empire dans le domaine de l’emballage plastique. Emporté par le succès, par la nécessité de toujours réaliser de meilleurs chiffres, jamais il ne s’est posé la question de l’impact de son activité sur l’environnement. Pourtant, depuis que son cancer foudroyant a été décelé lors d’un contrôle médical de routine, il a pris le temps, pour la première fois de son existence, de se poser et de regarder derrière lui. Il sait maintenant que ses activités ont contribué à précipiter sa mort prochaine, comme celle de nombreuses autres victimes innocentes. Une information en particulier, lui a ouvert les yeux. Des micro-particules de plastique circulent désormais, dans l’air. Il savait qu’il existait un « continent », voire plusieurs, de plastiques dans des coins perdus de l’océan. Mais cette énorme poubelle lui semblait être une bonne chose. Si tous les déchets finissaient par se regrouper dans des endroits précis, il suffirait de trouver le moyen de les capter et de les exploiter comme une matière première. Un cercle vertueux en somme, qu’il n’y avait qu’à activer. Mais, en quelques jours de recherche, Philléas a pris conscience de sa naïveté et des œillères dont il s’était affublé, plus ou moins consciemment, depuis toujours. Le problème du plastique, dont il est l’un des plus gros producteurs au monde, s’avère bien plus complexe qu’il ne voulait bien se le figurer. Les micro-particules de cette pernicieuse matière se sont infiltrées partout dans l’environnement. Pas un nuage, pas une nappe d’eau, pas un seul sol, pas une seule mer ne sont épargnés. Alors, il se doit de tout changer avant de quitter cette terre, que l’homme transforme, à vitesse exponentielle, en une énorme décharge, en dépotoir.
Ses collaborateurs se sont empressés de venir des quatre coins du monde pour participer à cette réunion du changement. À son entrée, les conversations s’éteignent en une fraction de seconde.
— Bonjour à tous. Je serais concis. Vous avez cinq ans pour remplacer toutes les matières plastiques polluantes que nous produisons par des matières recyclables et neutres pour l’environnement.
— C’est impossible. C’est la ruine assurée !
— Non ! Au contraire, c’est la seule issue possible. De plus, nos processus de production vont être entièrement revus. De même que pour les acheminements de nos matières premières et de nos articles.
— C’est une blague ?
— Non, c’est très sérieux et je vais vous présenter mon successeur au poste de PDG du groupe.
— Mais, ce n’est pas comme cela que ça fonctionne. Vous ne pouvez pas désigner…
— Si, je peux. Mes avocats vous expliqueront pourquoi j’en ai, légalement, le pouvoir. Je vous présente donc Mickael Verlynard, ancien haut responsable chez Greenpeace et dès aujourd’hui, votre nouveau PDG.
— Quoi ? Ce… ce guignol, cet opposé au progrès ! Cet homme de Néandertal qui veut que l’on retourne vivre dans des grottes. C’est scandaleux, je m’insurge en tant que l’un des actionnaires principaux de cette société, je…
Philléas claque la porte. Il laisse les actionnaires se battre et défendre les fortunes qu’ils ne sauront jamais dépenser avant de casser leur pipe. Le concernant, il n’a plus une minute à perdre. La machine du changement est sur ses rails, il faut maintenant la mettre en branle. C’est dans ce domaine qu’il a toujours excellé. Il saura à nouveau trouver la campagne de lancement la plus efficace. Que l’on parle en bien ou en mal de sa personne lui importe peu. Ce qui compte c’est de savoir attirer à lui les projecteurs.
Chapitre 2 :
La collecte.
Avant de poursuivre son idée, Philléas inspecte la grande salle dans laquelle il a mis en œuvre d’importants travaux d’aménagement. Il donne ses dernières directives quant aux éclairages qu’il souhaite d’une extrême précision d’intensité, de chaleur et de couleur. L’ambiance, tout en subtilité, doit être créée par la lumière. Il apprend, avec satisfaction, la fin de la construction de la chambre froide. Ce gros cube réfrigéré a la particularité de posséder deux accès. L’un donnant directement dans la grande salle et l’autre ouvrant sur un monte-charge débouchant dans le parking privé de Philléas, en sous-sol. Le chef de chantier lui remet les seules clés des différentes portes permettant d’entrer et de sortir, en toute discrétion, dans ce grand frigo, même pendant le déroulement des travaux dans le reste de la pièce. Le quinquagénaire, rassuré par l’efficacité des ouvriers, retourne s’isoler dans son bureau afin de peaufiner la sélection des acteurs principaux de sa campagne de publicité choc.
En premier lieu, il doit signaler la disparition de son collaborateur le plus proche, Stan, afin de commencer à attirer l’attention des médias sur lui.
Une inspectrice ne tarde pas à lui rendre visite. Altianne Nessur est tout spécialement détachée pour cette affaire signalée par l’un des hommes les plus riches au monde. La quarantaine n’affecte en rien sa beauté. Bien au contraire, ses traits, légèrement durcis par l’âge et l’expérience d’une vie consacrée aux pires crimes dont sont capables ses semblables, lui confèrent une assurance féline intrigante. La belle semble focaliser toute son attention sur ce que lui relate l’homme d’affaire, rien de ce qu’elle pense ne s’affiche en surface. Celui-ci se contente de lui expliquer l’absence non justifiée de son bras droit depuis la veille. Stan ne répond plus au téléphone non plus, ce qui est totalement inhabituel pour lui qui, depuis de longues années, reste disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Philléas ne peut empêcher son esprit de s’offrir un court égarement et de penser qu’en d’autres circonstances, il aurait pris plaisir à séduire cette inspectrice à l’allure de top model mais à la parure sobre des véritables beautés qui n’ont besoin d’aucun recours aux artifices. De plus, le regard d’Altianne Nessur possède ce pouvoir inestimable de dévoiler en un instant l’intelligence remarquable de sa propriétaire. L’homme de pouvoir est un collectionneur de cœurs et il regrette de ne plus avoir le temps d’ajouter ce joli spécimen à sa collection personnelle. En quelques mots précis, il lui révèle, juste ce qu’elle doit savoir, pour le bon déroulement de son plan puis la congédie en oubliant dans l’instant, sa frustration. Il a en tête un seul objectif et rien ne pourra l’en détourner.
Avant de revenir à l’essentiel de son projet, Philléas passe un rapide coup de fil au journal dont il est actionnaire majoritaire. Il impose la première page du lendemain dans laquelle sera divulguée la disparition de Stan Maille, son fidèle collaborateur depuis toujours. Il ajoute un dernier ordre, celui d’insérer la photo de la si talentueuse et sculpturale inspectrice Altianne Nessur, qui assure l’enquête en cours. Voilà de quoi attirer encore un peu plus de lecteurs.
La « mission », qu’il s’est assigné avant de devoir rendre des comptes à un hypothétique être supérieur, prend forme. Par ailleurs, il pense que sa manière de faire plaira beaucoup à ce « dieu » qu’il imagine très facétieux, voir cynique.
Philléas part en chasse. Il attire à lui ses proies ; rien de plus facile lorsqu’on possède l’attractivité universelle, celle de l’argent. Il les piège, s’amuse un instant à leur exposer par le menu la nature de leur contribution dans son grand dessein, puis les prépare. À son grand regret, il sera dans l’incapacité temporelle d’accumuler un nombre conséquent de participants. Alors, il peaufine les choses avec chacun d’entre-eux, afin que tout soit parfait et puisse être compris par n’importe quel humain sur cette terre en perdition. Il sait que son œuvre fera le tour du monde. Il s’emploie donc à la réaliser en y mettant tout son cœur, toutes les facettes de ses talents et en tirant partie, le plus intelligemment possible, de la contribution des intervenants qu’il a sollicités. Peu à peu, les éléments s’articulent et prennent tout leur sens. Conscient de ses multiples talents, Philléas s’auto-congratule et s’enthousiasme pour le résultat final qu’il commence à entrevoir comme satisfaisant.
Chapitre 3 :
La collection.
— Dites-moi cher ami, vous avez donc tous les talents ? Vos œuvres sont d’un réalisme époustouflant.
— Merci. N’oubliez pas de boire un verre à ma santé, le buffet est là pour ça.
— Merveilleux ! C’est le seul mot qui me vient !
— Merci.
— Ébouriffant ! Et cet éclairage, il tue ! Il confère une ambiance précieuse et oppressante à la fois.
— C’est trop, je ne suis qu’un amateur…
— Non, non, un Grand, un très Grand Artiste ! C’est subjuguant de beauté et le message est à la fois sublimement distillé et horriblement… euh… horrible.
— Vous m’en direz tant…
S’extirpant de la foule qui s’agglutine dans la grande salle, qui en dix jours s’est transformée en galerie d’exposition, Philléas se dirige vers le seul cube de verre qui ne contient que du vide… pour l’instant du moins. Il passe entre les sept cubes qui subjuguent les visiteurs et se fait encore aborder par quelques-uns d’entre-eux.
— Philléas, dites-moi, ce parallélépipède vide, il représente l’avenir de l’homme… c’est bien cela…
— Vous lisez dans mes œuvres comme dans un livre ouvert…
— Ah, je le savais, je le savais ! Vous êtes un génie !
— Monsieur Philléas Mustier…
— Vous êtes là inspectrice, vous avez répondu à mon invitation. J’en suis ravi.
— Dîtes-moi, cette… œuvre… ne s’inspirerait-elle pas de votre associé disparu si mystérieusement, Monsieur Stan Maille ?
— Vous m’avez découvert, c’est bien lui, je suis coupable…
— Je trouve cela morbide d’en avoir fait une sculpture si… réaliste, qui plus est, dans cette posture très évocatrice…
— Une sorte d’hommage à mon fidèle collaborateur.
— Une sorte d’hommage ? Ne serait-ce pas plutôt un aveu ? C’est de cette façon que vous l’avez tué ? Étouffé par un sac en plastique ?
— Je vous l’ai dit, j’avoue…
Sur cette dernière phrase sibylline, Philléas fend la foule afin de rejoindre le fameux cube vide. Il l’ouvre à l’aide d’une serrure à empreinte puis s’y enferme. Le public, d’abord désappointé par son geste, perçoit celui-ci comme le clou de l’exposition. Quelques applaudissements se font entendre et déclenchent une véritable ovation pour cet homme, décidément, si surprenant.
— Permettez-moi de m’exposer à mon tour.
Philléas domine le brouhaha ambiant par le truchement d’un micro dissimulé dans l’un des montants métalliques définissant les douze arêtes du cube de verre. Un silence suspendu à ses lèvres s’installe aussi vite que meurent les ovations.
— Tout d’abord, laissez-moi vous dire que cette boîte est inviolable. Verre blindé, serrure à empreinte dont je possède la seule clé… au bout de mon doigt. Personne ne pourra m’arrêter. Personne ne pourra m’empêcher de dire ce que j’ai à vous dire. Personne ne sera en capacité de venir me secourir. Car c’est ici et devant vous, devant le monde entier que je vais… mourir.
Le silence est à peine défloré par quelques timides marques, qui de surprise, qui de doute, qui de déduction. Merde, ce sont de vrais cadavres et pas des sculptures ! Comment ai-je pu… pense l’inspectrice Altianne Nessur.
— Je vois un certain regard qui m’indique la révélation dont vient d’être victime notre chère et sublime inspectrice… Oui, mes œuvres sont de chair et de sang !
Vous pensez que c’est horrible ? D’autres regards exorbités me donnent accès à vos pensées…
Il y a ici, sept cadavres, bientôt huit, lorsque votre serviteur les rejoindra…
Philléas Mustier prend le temps de déguster les réactions de ses visiteurs et explique enfin la raison de toute cette mise en scène lugubre.
— Ceci est mon acte de contrition.
Des interrogations fusent, des fuites devant l’abomination exposée à portée de main, aussi. Puis après une pause calculée, le serial killer reprend la parole.
— Toute ma vie, j’ai tué. Et pourtant, Madame l’inspectrice, jamais je n’ai eu l’honneur de votre visite…
Une nouvelle pause longue à souhait.
— Ah, j’en vois qui commencent à comprendre… Stan, mon fidèle collaborateur, lui aussi, sans vraiment en être conscient ou du moins sans vouloir écouter les lanceurs d’alerte, a tué toute sa vie durant. Lorsqu’on produit des milliers de tonnes, que dis-je des centaines de milliers de tonnes de plastique pendant plus de trente ans, on est, sans conteste, parmi les plus grands tueurs en série.
Si j’en crois certains rapports, en polluant comme mon entreprise pollue, je revendique des millions de morts.
Qui dit mieux ? Mesdames et Messieurs applaudissez l’artiste !
Jamais on n’a cherché à stopper le fléau que je suis, que nous sommes tous d’ailleurs. Chacun à son échelle bien sûr… Me concernant, je suis le plus grand serial killer de tous les temps ! Et j’aimerais être le dernier, l’indétrônable tueur !
Philléas Mustier poursuit ses confessions et explique la raison de son acte de folie apparente. S’il s’était contenté d’avouer ses milliers de meurtres à petit feu, à cause de la pollution émise par son entreprise, ses transports de produits, ses fournisseurs, ses clients… l’écho de son aveu aurait été bien pâle comparé au buzz qui naît déjà sur la toile. Tout le monde sait que la pollution tue à longueur d’année mais tous, nous l’avons admis comme une chose inévitable, presque normale. Quelle valeur représentent des milliers de vies perdues dans le silence de l’indifférence, comparées à la soif de vouloir toujours plus et encore plus, plus même que la planète terre ne peut offrir.
Huit meurtres, exposés dans des vitrines réfrigérantes, auront un impact bien plus conséquent. Chaque victime a été choisie en fonction de sa contribution au génocide planétaire. Chaque mise en scène rappelle quelques façons de tuer en toute légalité son prochain et plus largement les êtres vivants et innocents qui peuplent la nature, que l’on dépeuple aveuglément.
Stan est mort étouffé par un sac plastique.
Une autre victime de Philléas, un magnat du pétrole a été noyée dans un baril de brut. Son costume agrémenté, pour l’occasion, de deux grandes ailes dégoulinantes de ce poison poisseux, rappelle le calvaire des oiseaux mazoutés lors des marées noires.
Une troisième est éviscérée afin que l’on comprenne la raison de sa mort affreuse. Son estomac, ouvert aux regards effarés de la foule, regorge de bouchons et autres déchets plastiques. Il s’agit d’un important metteur en bouteilles du bien le plus précieux sur terre et sans doute du plus méprisé d’entre-eux, l’eau. L’eau, cet or liquide que l’on contamine de particules toxiques, l’eau si pure dont on se sert impunément pour évacuer nos excréments.
La quatrième est un client important de Philléas, un fabricant de pesticides et autres poisons répandus sur terre et dans les nappes phréatiques. Il a été soumis aux bienfaits d’un cocktail d’insecticides et autres engrais ingurgités à hautes doses. Il a expié en vomissant ses fautes.
Le cinquième sacrifié a le grand privilège d’avoir sa tête exposée en décoration au mur de verre de sa cage funèbre, comme un joli trophée de chasse. Au sol, sous ses yeux fixes, une poubelle a reçu son corps décapité. Pour accentuer encore l’horreur de la chose, l’orateur précise :
— Je suis particulièrement fier de la numéro cinq. J’ai tellement aimé ses yeux de biche que je ne pouvais, raisonnablement, lui offrir une autre fin… De plus, elle se vantait, à qui voulait l’entendre, de ses exploits lors de safaris magnifiques de… cruauté.
La sixième est un homme politique corrompu, osant battre campagne en faisant vibrer la fibre écologique de ses électeurs mais touchant d’énormes pots de vin des lobbies, tous plus pollueurs les uns que les autres. Celle-ci a reçu un traitement spécial à base de billets verts. Un gavage en règle, à l’image de ce que l’on fait subir aux oies pour se régaler de leur foie hypertrophié.
La septième est prise dans un filet de pêche et ses seins ont été découpés, comme certains s’emparent des ailerons de requin avant de les rejeter à la mer où ils connaissent une agonie lente et cruelle. D’ailleurs, elle n’a pas fini son agonie. Sa respiration légère n’est pas produite par un mécanisme introduit dans un mannequin. C’est un vrai être vivant qui n’a même plus la force de bouger. Cette femme est d’ailleurs un vrai requin dans son domaine, la pêche aux filets en plastiques eux aussi, dérivant sur plusieurs kilomètres et détruisant tout sur leur passage sans aucune distinction, lui assurait une vie de richesses inhumaines.
— J’aurais pu multiplier mes œuvres à l’infini mais… je manque de temps.
Encore un long silence pesant et permettant à chacun de mesurer la pertinence de cette exposition, dénonçant les capacités de l’homme à commettre le pire.
— Je manque de temps car la huitième victime, mais pas la dernière ne vous inquiétez pas, mes produits continueront mon œuvre longtemps après moi… sera donc, votre serviteur. Comme des milliers d’entre vous, j’ai chopé la mort en respirant l’air vicié de nos si belles villes. Il me reste quelques jours à vivre ou plutôt… à agoniser devant vous. Pas la peine de tenter de forcer mon cercueil, je vous le répète, il est inviolable, tout comme ceux de mes compagnons de route vers l’inconnu du trépas.
Mon seul espoir réside, désormais, dans votre prise de conscience collective. L’œuvre de ma vie est sous vos yeux. Je pense qu’il serait raisonnable de viser plus haut que moi. Je suis l’homme le plus riche du monde, ou peu s’en faut, mais je suis aussi et surtout, le plus misérable d’entre vous.
J’espère que mon action durera plus longtemps qu’un buzz sans lendemain. Je fais le souhait que ces huit victimes des excès aberrants de notre société, ouvriront les yeux sur les véritables tueurs en série qui sévissent en toute tranquillité dans leur maison aux chiottes en or massif. Je fais, je l’avoue et le regrette maintenant, partie de cette engeance.
Ma prise de conscience fût tardive. Je lance aujourd’hui la première attaque contre les véritables ennemis de la vie sur terre. À vous, humains, de reprendre le flambeau et de terrasser les bêtes immondes qui se repaissent, depuis bien trop longtemps, aux dépens de tout être possédant le seul trésor qui vaille : celui d’être vivant.
Fin.
Une petite nouvelle offerte pour Halloween :
Halloween 2021
Des bonbons ET un sort !
Une nouvelle de Luc Verline.
1- Squelette et Citrouille –
Ici, les bruits courent aussi vite qu’un mort-vivant dopé au jus d’asticot. Squelette n’échappe pas à la rumeur. Il l’attrape, ne la lâche plus, la suit, jusqu’à la source de bonbons réputés succulents. Il s’en lèche les babines. Du moins, pour l’instant.
Sorti un peu perturbé mais finalement satisfait de sa trouvaille, il croise son amie de toujours, Citrouille. Allégrement, il pioche dans sa récolte de faiseurs de caries. Sa quête est particulièrement bonne cette année, alors il joue les grands seigneurs. Il partage son butin avec sa copine qui, pour l’instant, a été beaucoup moins efficace que lui.
— Tiens la citrouille pourrie, goutte-moi ça !
— Cool. Merci squelette de la mort qui tue !
Citrouille s’empresse d’extraire le bonbon de son emballage. Elle doit faire preuve d’imagination pour réussir à atteindre sa bouche. Une fois cette délicate manœuvre accomplie, elle s’exclame :
— Wouah ! Trop bon ! Tu l’as eu où celui-là ?
— À un type trop bizarre. Quand il m’a filé ses bonbecs, il a dit « Tiens petit, des bonbons ET un sort ».
— Trop bizarre ton type !
— Ouais. Il avait pas besoin de masque pour faire peur. T’aurais vu sa tronche !
— Ben, en tous cas, ses bonbecs y sont trop trop bons.
Citrouille n’aurait jamais dû accepter ce bonbon trop trop bon…
2- Un type trop bizarre –
Sylvain ne déroge jamais à la coutume. Tous les ans, il veut sa soirée d’Halloween. L’âge venant, il a du renoncer à réclamer des bonbons ou à distribuer des sorts. Ses un mètre quatre-vingt ne lui permettent plus de se faire passer pour un enfant. Afin de palier au problème, l’adolescent a opté pour un passage dans l’autre camp. Depuis trois jours maintenant, il prépare ses paquets de bonbons. Cependant il a décidé d’offrir une variante au fameux « des bonbons ou un sort » en proposant « des bonbons ET un sort ». Sylvain est un type trop bizarre par de nombreux côtés. Sa dégaine, en premier lieu, fait de lui un genre d’épouvantail à moitié becqueté par les corbeaux. Sa peau semble épouser ses os, les muscles n’ont pas voix au chapitre sur ce grand échalas. Son visage constellé d’une acné ravageuse fait douter de son appartenance au genre humain. Sa bêtise n’a d’égal que sa laideur. Si une fée s’est un jour penchée sur son berceau, parions qu’il a eu à faire à la fée Carabosse ! D’ailleurs, en parlant de fées, des rumeurs laissent entendre que Sylvain serait un fils et petit-fils de sorcier. En tous cas, s’il possède le moindre don en potion, il a dû rater les cours sur les filtres d’amour ou ceux de « beaugossitude ».
Toute personne dotée d’un minimum de trois neurones, disons deux pour ne froisser aucun d’entre nous, aura déduit de ce qui précède, deux choses. Non ? Alors, désolé pour vous…
La première conclusion se résume en quelques mots. Les bonbons de l’affreux Sylvain n’ont ni le goût fraise, ni celui de violette mais plutôt le « goût de sort ». La seconde information à retenir se cache sous les airs de faux-niais du roi désigné de la belle ambiance d’Halloween. Le jeune dégingandé se révélera, à n’en point douter, comme un sorcier extrêmement doué. Concernant ses friandises, malheur à celui qui s’aventure à les manger, les croquer, les sucer, les déguster, s’en régaler, s’en goinfrer, s’en ensuquer, en saliver, en goûter, en bouffer, s’en délecter, s’en empiffrer, s’y casser les dents, s’en flatter le palais, s’en faire péter la panse, les laisser fondre en bouche… Si l’on évite l’une de ses actions alors il est possible que l’on puisse échapper à leur maléfice. Mais, vous le savez déjà, ici, les bruits courent aussi vite qu’un mort-vivant dopé au jus d’asticot. Tous les déguisés de la petite ville paumée au fin fond du trou du cul du monde sont, d’ores et déjà, au courant. L’affreux Sylvain offre des sucreries à tomber ! Une queue s’étire d’un bout à l’autre de la ruelle sordide où réside le talentueux mais définitivement répugnant « régaleur » de papilles. L’étroit accès à la maison aux promesses gustatives, éblouit de toute sa noirceur quiconque s’y engage. La foule bigarrée ainsi que l’ambiance festive de ce trente et un octobre adoucit cette impression. Les lanternes de la procession vers les fameux bonbons, éteignent par endroit l’obscure ruelle aux pavés-casse-chevilles. La joie communicative fait oublier en partie le froid particulièrement glacial de ce boyau peu fréquenté, et même évité, les trois cent soixante quatre autres jours de l’année. Pas une seule fenêtre, aucune porte sur les antédiluviens murs de briques sales et miteux constituant ce long couloir oppressant. Mêmes les décorations d’Halloween n’ont pas osé s’installer ici, si l’on omet les véritables toiles d’araignées se régalant de l’espace propice à leur déploiement prolifique. L’heureux premier de cordée voit sa bonne humeur relative, être remplacée par un malaise abyssal au moment de franchir les derniers mètres menant du portail plus rouille que noir de la propriété, jusqu’à la porte d’entrée. Faucheur hésite. Sa lame sanglante de fausse hémoglobine tremble, telle la main d’un grabataire parkinsonien. Il croise le regard de ceux qui ont bravé, juste avant lui, l’immonde jardinet aussi accueillant qu’un chat noir lépreux. L’éclat, dans leurs yeux de gourmands satisfaits, lui procure le courage de poser un pied dans la gadoue collante du chemin serpentant au milieu des végétaux souffreteux et, autres ronces, qui elles ont une vitalité étonnante, malgré leurs feuilles d’un pourpre inquiétant. Chacun de ses pas représente un défi à l’équilibre. Ses pieds entament une danse glissante, pas toujours maîtrisée et accompagnée de « slurps » dégoulinants. Ses baskets sont maintenant au diapason de son déguisement. Faucheur cherche désespérément le bouton de sonnette. Il doit admettre qu’il n’a d’autre choix que celui de saisir le heurtoir, planté en plein milieu de la porte en bois d’un autre âge. La poignée de laiton verdie par le temps est peu ragoûtante. Ses mains maquillées pour l’occasion paraissent, en comparaison, d’une beauté immaculée. Le contact du métal froid lui vaut un frisson brûlant dans l’échine. Au fin fond d’un coin de son cerveau encore capable d’émettre des idées, il s’imagine serrer la main du diable en personne. Les pics métalliques, répartis sur les côtés du heurtoir, seraient-ils entrain de se refermer sur ses doigts ? Il n’a pas le temps de confirmer cette glaçante impression car la porte crie de tous ses gonds. Les oreilles vrillées, Faucheur écarquille les yeux dans l’espoir de distinguer quelque chose dans ce trou noir, béant, grand ouvert maintenant devant lui. Mais ce n’est pas sa vue qui est sollicité en premier lieu. Une odeur fétide lui fait don d’un haut le cœur. Puis, comme dans un film au ralenti, il croit deviner une forme indistincte se mouvoir dans l’obscurité. Soudain, l’appendice nasal de Sylvain est à portée de poil de nez. Faucheur ne peut réprimer un sursaut , pourtant, il reste figé, la bouche ouverte et sujet à la pire crise de tétanie de sa vie. À ce moment précis, il se demande s’il est toujours en vie. Tout bien considéré, il préférait s’allonger dans son propre cercueil six pieds sous terre plutôt qu’être face à face, ou nez à nez, avec ce visage hideux, répugnant, glaçant, répulsif, mortifère. Cette réaction ravit l’hôte empathique. Sylvain toujours soucieux de se mettre à la place de ses invités se délecte de la peur de son visiteur. Il la fait sienne, la partage en parfaite osmose et ressent un bien être délétère.
Une lumière jaillit dans cette poisseuse ambiance. Un sachet de bonbons aux couleurs vives brille en fluorescentes tentations. Un timide sourire naît aux commissures des lèvres de Faucheur. En miroir, un franc sourire dévoile la dentition d’horreur de Sylvain. Peu nombreuses, les dents ou plutôt les chicots résistants encore à l’halène de hyène de l’heureux propriétaire de ce charmant endroit, pendent aux gencives purulentes d’une cavité buccale, proche cousine des bouches d’égouts. Une voix enfantine, en total contradiction avec le personnage décati prématurément, déclame, enjouée :
— Des bonbons ET un sort ! Régale-toi ! Et maintenant, tire-toi. La nuit d’Halloween ne dure pas une année entière. J’ai peu de temps pour faire plaisir à un maximum de gourmets gourmands.
Faucheur reste bloqué, interdit dans un attitude très amusante, vue de l’extérieur. Mais vécue de l’intérieur, le pauvre garçon ressent la frayeur de sa vie, au même titre qu’une souris encore consciente dans la gueule d’un matou. Ses lèvres tentent de former des mots dans des hoquets grotesques. Son esprit voudrait prononcer, qui des excuses, qui des remerciements mais son cerveau s’en révèle incapable. Sa bouche restitue cette confusion aussi bien que ses yeux éteints de poisson frit. Sylvain le regarde, amusé. Le regard bienveillant et pourtant effrayant, il penche légèrement la tête, ce qui ajoute encore, cela paraît pourtant impossible, une once de malaise à la situation. Puis, dans un geste empreint de tendresse, il glisse sa bouche vers l’oreille de son collant visiteur. Personne ne saura jamais les mots doux prononcés par Sylvain, mais on ne peut pas douter qu’ils soient bien choisis. Dans la demi-seconde, voici Faucheur qui retrouve sa capacité à se mouvoir dans des proportions extraordinaires. Il en perd sa faux qui ne s’est pas encore fichée dans la boue au moment où son propriétaire franchit déjà le portail rouille plus que noir. Sylvain en est presque attristé et murmure pour lui-même : « Dommage, ta faux te fera bientôt défaut ». La porte geignarde hurle à nouveau sa haine d’être manipulée. Elle claque brutalement au nez du quémandeur de bonbons suivant. Dracula n’en mène pas large mais son envie de déguster les sucreries convoitées par tous, demeure plus grande que toutes les frayeurs. À son tour, il se résout à tendre sa main aux griffes de plastique acérées, afin de saisir le heurtoir vert de gris. Son échine le brûle, tant le froid qui l’envahit est glacial.
3- Le sort –
— Breuah ? Argrrrr ! Nia ba glob ?
— Perfti, breuar, gmaclop !
4– Indigestion –
La fête d’Halloween atteint son paroxysme. Partout à travers la ville, la rumeur a été entendu. Bientôt, il ne reste que peu de personnes n’ayant pas consommé les fameux bonbons de l’affreux Sylvain. D’ailleurs cet adjectif collé à son prénom commence à ne plus paraître à propos. Nombreux renoncent à cette amalgame qui ne reflète pas la nouvelle réalité vers laquelle, mystérieusement, glisse la population. L’affreux Sylvain se voit renommer le maître es-sucrerie puis le génial Sylvain et pour finir, dans la bouche de chacun, il devient le roi d’Halloween. Quelques bonbons l’ont propulsé, en une courte soirée, du statut de paria à celui de roi !
Afin de profiter de sa renommée, le roi d’Halloween a sorti son trône. Celui-ci est constitués de crânes à l’apparence plus que réaliste. Il défile maintenant assis sur son tas d’os, juché sur une chaise à porteur. Les acclamations fusent. Les bousculades s’accentuent à chaque fois que le maître daigne lancer une poignée de ses fameux régals des papilles. Des incidents naissent et se répandent comme une traînée de poudre. Des doigts sont écrasés, des mains broyées, des cages thoraciques mises à mal. Mais l’ensemble reste bon enfant. Au final l’abondance des sachets sans fond, du faiseur de petits plaisirs, contente chacun des habitants de la petite ville perdue au milieu de nulle part. La convoitise précède son passage, le contentement et la joie rendent hommage à son départ vers d’autres rues. L’allégresse d’une journée exceptionnelle enchante démons, clowns, sorcières, monstres, loup-garous, vampires, fantômes, citrouilles, épouvantails, squelettes et tant d’autres personnages à glacer le sang pour la plus grande joie de tous, et tout particulièrement pour Sylvain. Enfin son rêve prend corps en ce jour d’Halloween. Encore un peu de patience et l’apothéose pointera le bout de ses dents acérées.
Quelques sorcières subliment la fête. Leurs costumes extravagants aux allures classiques, sexy ou très originales, leurs ont inspirés l’organisation d’un défilé de mode improvisé. Les classiques aux nez crochus, dos voûtés, fringues en lambeaux répugnant, miment des décollages de façons plus ou moins réussies, sur des balais aux poils miteux. Les sexy jouent de leurs charmes et n’ont d’yeux que pour le roi de la fête qui, dans un sourire édenté, leur renvoie leurs baisers. Le clou du spectacle vient de faire une apparition remarquée. Un chapeau aux dimensions extravagantes hallucine les spectateurs autant que les participants au défilé. Une robe, aux formes généreusement arrondies, englobe le modèle de sa corolle à ses pieds. Des stries profondes, granuleuses apportent une texture remarquable à l’ensemble. Et que dire des couleurs automnales arborées dans une splendeur à croquer. La femme-sorcière-champignon galvanise la foule qui s’enflamme dans un brouhaha de hourras et de bravos.
Ainsi, Halloween s’affiche cette année dans toute sa richesse. Les enfants, de même que quelques adultes n’ayant pas oubliés leurs mondes imaginaires, se prêtent au jeu dans une allégresse qui ne cesse de s’amplifier. Les clowns sont également de sortie ! Les tronçonneuses en plastiques hurlent. Ces reproductions sont d’un réalisme tranchant. Les clowns les brandissant à bout de bras, effrayent plus que quiconque.
Le cortège d’admirateurs à la suite du trône du roi déambule gaiement. Le tour de la ville est vite terminé, alors une seconde parade s’ébranle pour à nouveau rendre gloire au plus grand des monarques d’Halloween. Ce nouveau passage ne fait qu’amplifier encore les délires festifs. On mime des horreurs à l’intensité croissante. Ici une tête roule dans un panier. Celui qui l’a perdu se relève et la brandit en courant comme un canard ayant subi le même sort. Là, une meute de loup-garous s’oppose à des vampires toutes dents dehors. La bonne ambiance est teintée d’hémoglobine factice, jusqu’au moment où la première véritable oreille est arrachée, par la mâchoire d’un dément au crâne blanc.
5– Le sort (traduction)–
Pour les incultes en langage d’Halloween, voici la traduction du dialogue, pourtant limpide pour les initiés, entre Squelette et Citrouille.
— Breuah ? Argrrrr ! Nia ba glob ? : Qu’est-ce qui m’arrive ? Regarde ! Tu crois que je vais fondre complètement ?
— Perfti, breuar, gmaclop ! : Putain, moi aussi, je deviens toute bizarre !
C’est Squelette qui le premier subit la métamorphose. Il n’est plus un enfant déguisé en squelette. Il mue à vue d’œil. Sa peau fond comme du beurre exposé aux brûlures d’un soleil d’été avide. Ses muscles, ses tendons, ses chairs, ses organes internes se volatilisent dans des gerbes de sang, bien réel cette fois. Squelette n’a jamais aussi bien porté le surnom que lui avait attribué son amie Citrouille. D’ailleurs elle aussi est victime d’un sort analogue, mais en accord avec son déguisement. Sa chair devient chair de légume, ses membres se vrillent en lianes d’un vert profond agréablement assorti à sa teinte orange, ses cheveux s’associent en feuilles à mignonnes pustules.
La fête de l’horreur vire à l’horreur en fête. Déjà les sorcières « classiques » sentent leur faux nez s’incruster au centre de leur visage en un cap d’immondices coulant de morve abondante. Les sexy voient leurs prothèses mammaires de plastiques s’infiltrer en leurs seins qui gonflent à faire exploser les corsages. Enfin les femme-sorcière-champignons explosent en centaines de spores dansant dans le vent glacial de cette soirée de folie. Bientôt des myriades de bébé-femme-sorcière-champignons font bondir en nombre, la population de cette ville paumée, entre rien et nulle part.
Aucun gourmand, ayant goûté aux bonbons trop trop bons, n’échappe au sort promulgué par Sylvain, le maître sorcier. Mais là ne s’arrêtent pas ses exploits. L’effet le plus terrible ne sera révélé que passer minuit, en ce trente et un octobre. En attendant l’heure de l’ultime révélation, le roi d’Halloween se délecte de ses dons d’ensorceleur. Les appétits féroces s’aiguisent encore. Chevalier sans tête jaillit sur son destrier de bois. Ce-dernier n’est plus qu’une simple sculpture grossière, il est un véritable cheval de bois fougueux. Ses hennissements dénoncent son origine sylvestre car ils ressemblent aux craquements produits par les arbres, les jours de grand vent. Son galop inarrêtable fend la foule et décime à loisir une bonne partie des participants. Mais en ce jour d’Halloween, en tous cas, en ce jour si particulier d’Halloween, cela n’a pas grande incidence. Car toutes les victimes écrasées se relèvent pour continuer à participer gaiement aux festivités. Ils ont simplement changés de statuts. Ils sont désormais des mort-vivants et pour quelques-uns des ectoplasmes.
Le temps file. Les douze coups de minuit musicalisent l’ambiance terriblement sanguinolente. L’ultime révélation s’impose. Halloween s’éternise et durera, en cette année si digne d’intérêt, trois cent soixante quatre jours. La petite ville paisible s’est transformée en enfer sur terre. Les pires horreurs se perpétuent, s’amplifient, s’étendent, se répètent sans fin. Sylvain jubile.
Une seule faille échappe à ses pouvoirs. Si les victimes de son sort ont la bonne idée de conserver un bonbon trop trop bon, alors ils auront la possibilité d’inverser les choses, le seul jour où l’on ne fêtera pas Halloween, en cette année bénie des diables…
6– Un an après le jour d’Halloween–
En ce jour baptisé « Sanssang », Squelette erre dans les rue de sa petite ville du trou du cul du monde. Trois cent soixante quatre jours au pays de l’horreur n’ont finalement pas eu raison de lui. Le voilà de retour, libéré du sort inoculé en lui par des bonbons trop trop bons. Il est évident qu’il n’est pas sorti indemne de cette longue année de cauchemars. Jamais son esprit ne pourra s’extraire totalement des souvenirs collants, gluants, sanguinolents qu’il a traversés. Oui, il a survécu et ne sait pas trop comment d’ailleurs. Avec beaucoup de chance, pense-t-il. Cette chance, son amie d’infortune n’en a pas profité assez longtemps. La veille de la délivrance, le pire s’est produit. À un jour prêt, quelle ironie ! Citrouille a fini la tête en soupière, le crâne en velouté de potiron à la crème, un vrai délice ! Transformée ainsi, elle a été en incapacité de croquer le bonbon trop trop bon qu’elle avait réservé à cette occasion. Cruel petit farceur que le destin…
NOUVELLE A EPISODES OFFERTE :
Sur une fleur,
elle se pose et rend l’âme.
– Luc Verline juin 2021 –
Épisode 1/24 :
Un parfum de mort.
Sur une fleur, elle se pose et rend l’âme à l’issue d’un combat épique. Elle ne saura jamais si ce sacrifice avait du sens. Son sang d’un vert émeraude trouve ici un écrin légitime. Un vent printanier flatte les narines des survivants et dissipe les odeurs plus ferreuses des mares d’hémoglobine jonchant la plaine meurtrie du royaume de Craâ.
…………..
Quelques lunes séparent cette fin dramatique de cette conversation à la teneur inhabituelle, entre le grand chambellan Amerik et son conseiller de toujours, le peu recommandable Vautor.
— Les Slars sont sans pitié. Et tu voudrais que ma fille, la chair de ma chair, mon propre sang, soit sacrifiée ?
— Grand chambellan, il est temps en effet. L’Historienne l’a gravé dans la Pierre Sacrée. Rien ne saurait changer ses exigences.
— L’Historienne n’est qu’une vieille folle et nous le sommes plus encore, de se plier à ses volontés.
— Par tous les dieux, vous ne pouvez…
— Tu prétends me dicter ce que je peux dire ou pas ?
— Euh… Non bien sûr… cependant…
— Il est temps en effet, comme tu le dis si bien… Temps de se libérer de ces inepties. Temps pour moi de prendre le pouvoir !
— Mais grand chambellan, vous en êtes le détenteur légitime…
— Vraiment ? Je crois n’avoir été jusqu’alors qu’un homme de paille. Un homme manipulé depuis sa naissance qui a été éduqué dès le plus jeune âge à faire là où on lui dit de faire. Sache, pauvre mouche attirée par ma merde, que c’est terminé !
— Mais…
— Ma première décision est… de te révoquer sur le champ !
Épisode 2/24 :
Sage et sublime Yaël.
Le grand chambellan Amerik, décidé à bouleverser drastiquement l’équilibre des pouvoirs, sait ce qu’il lui reste à faire. Il se rend sans tarder quérir l’appui de la seule à détenir assez de sagesse et d’envergure pour s’opposer aux désirs de l’Historienne.
— Yaël, je te veux comme première conseillère !
— Comment peux-tu envisager un seul instant cette option ?
— Mais ce n’est pas une option, c’est …
— Un ordre peut être ?
— Non, tu sais bien que ton rang ne me permet pas de t’imposer quoi que ce soit.
— Alors n’insiste pas.
— Mais j’ai besoin de toi pour…
— Pour… ?
— Pour… prendre le pouvoir !
— Rien que ça !
— Je ne vois que cette possibilité pour sauver ma fille d’une mort annoncée par…
— L’Historienne ! Elle a donc osé !
— Alors tu acceptes ?
Yaël, dont le silence de mort pousse la patience du grand chambellan à ses limites, semble avoir retrouvé toute sa légendaire quiétude. Elle reprend son activité épistolaire, avec le même geste assuré à tracer des lettres gracieuses, pleines d’arabesques voluptueuses. Qui pourrait croire qu’en son for intérieur, la sublime femme est troublée comme jamais ? Elle lève un bref instant les yeux de son parchemin et, d’un seul regard, congédie son petit frère. Celui-ci, froissé d’une telle indifférence à ses malheurs, ravale les mots indélicats qui lui incendient la bouche. Conscient que la meilleure chose à faire est de laisser à son aînée un temps de réflexion, il se retire. Il sait la sagesse de Yaël. Malgré son impatience, il reste confiant en sa décision à venir.
Épisode 3/24 :
Toute une Histoire.
— Ma fille, un jour tu seras à ton tour l’Historienne.
— Mère, je n’ai pas reçu votre don en héritage.
— Mon don ? De quel don parles-tu ? Point de don qui ne tienne, mais du travail pour arranger au mieux l’Histoire à venir. Consulte les Grands Livres, apprends l’Histoire passée. Vois-y ce qui est bon pour nous, puis, écris notre futur, à notre convenance.
— Mais cette tâche est si ardue.
— Non ma fille. La tâche la plus ardue fût effectuée de main de maître par nos ancêtres communs. Nos anciens ont su rendre notre parole sacrée. Ainsi, ils nous ont offert ce cadeau inestimable de mener le peuple là où il nous sied. Alors respecte tous les sacrifices qu’ils ont endurés pour que notre tâche, à nous, soit si simple.
— Oui mère. Veuillez excuser ma faiblesse.
— Ne t’excuse pas et montre-moi plutôt de quoi tu es capable !
L’Historienne vérifie inlassablement le travail de sa fille. Elle y relève les détails trop précis qui ne pourront pas se dérouler dans ce degré de nuance par la suite. On peut prétendre détenir le pouvoir d’écrire l’Histoire avant qu’elle ne se produise, cependant, certains détails, qui se produiront réellement, pourraient amener les moins aveugles à remettre ce don en cause. Alors, elle enseigne à son héritière la manière dont elle peut écrire les grands desseins de leur nation sans pouvoir être contredite par les faits à venir. Un subtil dosage dans le but d’imposer un futur prédit et sans faille, assurant un avenir radieux à leur famille qui règne ici sans partage depuis des générations.